jeudi 19 août 2010

Les Amants Maudits (Elle)


Elle…

Elle sortit de la gare hâtivement. Il pleuvait comme elle n’en avait jamais vu en ce mois d’Août. Elle balaya du regard ces voyageurs qui, comme elle, attendaient qu’on vienne les chercher. Elle était inquiète : et s’il s’est endormi ? Et si son réveil n’a pas sonné ? Elle aurait fait tout ce chemin pour rien alors. D’ailleurs, elle ne sait pas pourquoi elle le fait. Elle était supposée avoir laissé cette histoire loin derrière elle. Elle a commencé à faire son petit bout de chemin, et là elle est sur le point de détruire toutes les convictions qu’elle s’est forgées depuis ces derniers mois. Ce n’est qu’après une bonne beuverie qu’elle décida de prendre le premier train pour A. ; et ses amis étaient loin de l’en dissuader. « Au pire des cas, tu pourras visiter la fameuse cathédrale ». Cela la fit rire, mais au fond elle s’en foutait de la cathédrale. C’était lui qui lui importait le plus. Si elle est passée à Paris, c’était pour retrouver son meilleur pote, mais aussi lui. C’était le seul endroit où ils pourraient se voir sans avoir peur qu’on les retrouve. Trois semaines auparavant, il l’avait suppliée de le voir, de lui trouver un peu de temps. « juste une heure », lui disait-il ; mais elle faisait la sourde oreille. C’est vrai qu’elle avait beaucoup à faire, mais elle ne voulait pas faire d’effort. Elle voulait qu’ils se voient ailleurs. Pourquoi pas P. ? Un terrain neutre : elle, elle serait en vacances ; et lui, il sera un peu plus loin de la ville où il habite, loin de tout ce qui pourrait lui rappeler l’autre.

Elle s’installa dans le café face à la gare. Le bonhomme au bar était super-galant. Il gronda même un client qui n’arrêtait pas de lui faire les yeux doux. Elle choisit une table face à la porte d’entrée puis ouvrit son « Voyage de Théo ». Elle n’était pas d’humeur pour lire, mais il fallait qu’elle s’occupe, surtout depuis l’interdiction de fumer à l’intérieur des établissements. Le vent soufflait très fort, la pluie ne s’arrêtait pas et il faisait un froid de canard. Elle aimait regarder cette nature, tout aussi agitée qu’elle. De temps en temps, elle regardait son téléphone, s’attendant à voir son numéro s’afficher. « Je lui donne une heure, s’il ne se manifeste pas, je repars dans le premier train ». Au fond d’elle-même, elle aurait aimé qu’il ne le fasse pas. Elle avait peur des conséquences de cette journée, des séquelles que ça allait avoir sur elle. Quand tout à coup, son meilleur ami l’appela pour lui dire qu’Il la cherchait partout devant la gare, et qu’Il avait pas son numéro Français. Elle sursauta sur place, se mit debout et regarda dehors. Et c’est là qu’elle l’aperçut entrain de parler à un garçon de café. Elle referma son bouquin, salua le bonhomme au bar, et puis sortit en un éclair.

Elle s’arrêta un instant avant de traverser. C’est vraiment lui ou est ce qu’elle est entrain de rêver ? Elle traversa la rue en courant, et elle vit un sourire inquiet se dessiner sur son visage à lui. Et dès qu’elle fut à son niveau, elle l’enlaça très fort puis se fondit en excuses sur cette histoire de numéro Français, et il ne réussit à la faire taire qu’en l’embrassant langoureusement. Ça l’a surprit. Et elle ne se rendit compte de ce qu’elle était entrain de vivre que quand il l’embrassa encore une fois. Elle était là, dans ses bras, et lui qui la tenait si fort, en lui susurrant des « tu m’as beaucoup manqué ».

Après, ils allèrent chercher la voiture au parking. Ils n’arrêtaient pas de se taquiner et de se lancer des regards tendres, de s’embrasser avec passion. Le regard des gens importait peu. Ils étaient seuls au monde. Il était tout excité qu’il n’arrêtait pas de jouer au guide, et de lui parler des bons spots, la vieille ville, et même la fameuse cathédrale, dont on lui avait parlé, mais elle n’avait d’yeux que pour lui. Cela ne l’intéressait pas l’histoire de la ville ; elle, qui aime pourtant le côté historique des endroits auxquels elle se rend, elle qui aimait s’imprégner de l’odeur de ce genre de monuments, les sentir…

Ils s’installèrent dans un café au centre ville, et le silence prit place avec eux, surtout quand il lui annonça que sa femme dormait juste à côté de lui quand elle l’avait appelé au petit matin pour lui annoncer qu’elle débarquait. Elle ne savait pas que sa femme s’est enfin installée avec lui. Elle sentit un malaise. Elle était peut-être jalouse d’elle : elle qui a la chance de le côtoyer chaque jour, de dormir à côté de lui, de sentir son odeur, de lui préparer le petit déj, mais surtout de vivre chacun de ses moments intimes avec lui… ils se mirent alors de parler de tout et de rien : lui, il parlait de la rénovation de son appart et des vacances merdiques qu’il avait passé, et elle, de son futur engagement. Elle essayait d’expliquer sa décision, mais il ne voulait pas qu’elle s’explique sur cela. Il savait pourquoi elle faisait ça. Pourtant, les explications ce n’était pas à lui qu’elle les devait. Plutôt à elle-même. Elle essayait de se convaincre qu’elle avait pris la bonne décision, et c’était vraiment la bonne, la logique, la plus « morale ».

Il proposa de l’emmener dans un de ses endroits préférés. Elle était bien curieuse de savoir où il trouvait refuge quand il avait mal, le mal d’elle. Elle ne pouvait s’empêcher de le regarder tout au long du trajet. Des regards tendres et doux qui, avant, ne voulaient rien laisser transparaître. Il était gêné par ses regards insistants, ou peut-être qu’il en était surpris. Elle lui serrait la main, la lui touchait, comme si elle n’avait pas encore réalisé que c’était vraiment lui qu’elle touchait. Ils s’installèrent quelque part dans une route barrée près d’un campus universitaire. Il faisait très froid dehors, mais elle ne ressentait plus le froid. Elle enleva sa petite veste noire afin qu’il puisse mieux admirer son décolleté. C’était la première fois qu’elle mettait cette chemise, et elle l’avait mise spécialement pour lui. D’ailleurs, depuis ce jour, elle l’appelait sa chemise à lui.

Il n’arrêtait pas de lui dire ces « je t’aime », ces « tu me manques », ces « je n’arrive pas à croire que tu l’ais fait » ; elle, non plus d’ailleurs. Parcourir une centaine de kilomètres, juste pour passer la journée avec lui, et repartir après pour faire ses valises et rentrer au pays, retrouver la réalité, sa réalité… la discussion entre eux prit une tournure tout à fait attendu : ils s’embrassèrent comme si c’était la première fois, il prit soin de lui embrasser la nuque, de sentir sa peau, de bien s’occuper d’elle. C’était la première fois que quelqu’un soit aussi sincère en lui disant combien elle était belle toute nue. Elle, qui n’aimait pas vraiment son corps, se sentait comme une reine entre ses bras, sous ses baisers enflammés, elle se sentait femme…jusqu’au moment où il décida qu’ils n’iraient pas plus loin. Elle en fut étonnée.

- …Je veux que notre première fois se passe le mieux possible. Je n’ai pas envie qu’un jour on s’en souvienne que c’était à l’arrière d’une voiture. J’ai envie que ce soit vraiment une nuit de rêve….

- …Mais qui te dit que ce n’est pas déjà une journée de rêve pour moi ???...

- …Je ne veux pas non plus faire de toi ma maîtresse, je te respecte trop pour ça…

Elle se tut. Il avait raison sur ce point. Elle n’aime pas la clandestinité, et ne l’a jamais aimé. Ceci-dit, ce n’était pas l’unique raison pour laquelle il lui résistait. Il s’est confessé d’ores et déjà en lui disant qu’il ne voudrait pas souffrir en découvrant que c’est sa façon à elle de lui faire ses adieux. Il n’avait pas tout à fait tort. Elle était venue le voir une dernière fois avant de repartir pour ne pas avoir de regrets après.

Cette journée était sa journée et hors de question que ça finisse ainsi. Elle avait envie de concrétiser leur histoire, et lui aussi. Alors pourquoi se prendre la tête ? Tout contact, tout baiser, tout toucher ne faisait qu’accentuer leur désir l’un pour l’autre, et tout gémissement de son côté, le rendait encore plus fou, et c’est ainsi qu’il succomba à la tentation ; et les « je t’aime » fusèrent jusqu’au moment où elle s’entendit le dire elle aussi. Ils s’arrêtèrent tous les deux. Il la regarda surpris, les yeux écarquillés, mais elle se reprit, s’excusa et fit comme si de rien n’était. Elle ne le lui avait jamais dit, mais à chaque fois qu’elle lui lançait un « je t’emmerde », se cachait un « je t’aime » refoulé. O combien elle regrette ne pas le lui avoir dit plus tôt. 7 ou 8 mois auparavant par exemple. Les choses auraient été tellement différentes, en bien ou en mal, mais ça valait le coup.

Une voiture faisait un demi-tour dans la ruelle, et il faisait trop chaud dans la voiture, donc elle décida qu’il était temps de se rhabiller. Lui, il descendit fumer sa cigarette, pendant qu’elle remettait le CD de musique. « Paradise Circus » de Massive Attack n’a fait qu’accentuer la douleur qu’elle sentait au fond d’elle. L’heure de départ approchait à grands pas, et elle ne voulait en aucun cas repartir. Pourtant il fallait. Ils étaient debout dans la rue, encore à s’enlacer, à s’embrasser. Elle voyait de temps en temps ses yeux se remplir de larmes qu’il essayait de retenir. Sa seule réponse était de lui caresser le visage, de lui tenir la main, ou encore de lui caresser le ventre. Un sourire par-ci, un autre par-là et il était aux anges. Elle le savait fragile, donc il ne fallait pas qu’elle se montre faible devant lui.

- Alors, on est ensemble maintenant ?

Elle lui répondit pas, car elle–même ne connaissait pas la réponse à cette question. Après le déjeuner, ils restèrent assis dans la voiture. La pluie s’est arrêtée pendant quelques instants, mais là elle reprit de plus belle.

- La ville pleure de chagrin. Elle ne veut pas que tu repartes.

Elle non plus ne le voulait pas. Elle mit sa tête sur son épaule et ferma les yeux. Qu’est ce qu’ils vont devenir. Il ne peut pas faire marche arrière. Elle non plus. Il y’a trop de personnes impliquées dans cette histoire, et ils ne veulent pas qu’ils souffrent par leur faute.

Il était presque l’heure, sans parler que sa femme commençait à l’appeler, donc elle lui demanda de prendre le chemin de la gare. Ils étaient silencieux. Elle, encore entrain de le regarder. Elle sait qu’elle ne pourra pas le revoir de sitôt. Elle repensa encore à sa femme, à son mec, à ce qui l’attendait dans quelques heures.

N’ayant pas trouvé un endroit pour stationner la voiture, elle lui demander de juste la déposer devant la gare et repartir. Son cœur battait de plus en plus. En arrêtant la voiture, elle lui sauta dessus, en l’embrassant goulument, puis prit les CDs qu’il lui avait préparés et descendit. En courant vers la gare, elle se retourna une dernière fois pour le voir repartir, s’essuya une larme qui lui coulait sur la joue, puis courut pour rattraper son train…

3 commentaires:

  1. Vraiment une histoire émouvante, et vous l'avez honoré avec votre plume...
    Chapeau bas...

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  2. Bravo Roxie... Un adieu aussi merveilleux et aussi douloureux... Des sensations décrites avec une telle finesse qu'on ne peut pas s'empêcher de les voir jaillir de nos profondeurs...
    Encore merci Roxie pour ce beau texte.

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  3. @venus et Illusions: merci pour vos encouragements !

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