vendredi 24 décembre 2010

Hantise

Cela faisait des années qu’elle n’avait pas remis les pieds chez ses parents. Elle sentit une boule lui traverser la gorge. Comment le leur dire ? Comment le leur annoncer ? Son psy lui avait dit que le premier pas vers la guérison était d’en parler à ses parents. Vont-ils la comprendre ? Aucune idée. Vont-ils la soutenir ? Pas certain. Après tout, elle a déserté le foyer familial durant des mois pour fuir ses vieux démons ; hélas, en vain. Ces vieux démons ne l’ont pas lâchée.
Elle s’avança dans l’allée, et s’arrêta devant le jasmin. Cette senteur, qu’elle aimait tant, ramena à la surface quelques souvenirs d’enfance. Elle, jouant dans ce jardin avec les machmoums que son père confectionnait ; lui, la fixant du regard derrière ses lunettes Ray Ban.
Lui ! La seule personne qu’elle a autant détestée dans sa vie ! Il était si serviable, si généreux. C’était lui qui proposait d’emmener les enfants à la plage quand les parents bossaient. C’était lui aussi qui les gardait quand les parents sortaient le soir ou avaient une urgence. C’était lui aussi le bon tonton qui ramenait des Kinder surprise ou les barres de chocolat sur lesquelles on bavait durant les pages publicitaires. Personne ne se doutait que derrière cette facette de bon samaritain se cachait un rapace, un monstre odieux.
Il était 20h. Ils étaient surement chez eux. Elle voyait de la lumière à l’étage. Devrait-elle sonner ou frapper à la porte ? Ils vont avoir une drôle de surprise en la voyant sur le palier. Sa mère va s’empresser de ranger le salon, son père va rouspéter contre cette personne qui interrompt son émission préférée (quoi qu’elles sont toutes ses préférées), quant à son frère, il va faire comme si il n’était pas là, et se cloitrer dans sa chambre.
Sa grand-mère est décédée y’a de cela un mois. « Enfin ! », se dit-elle en culpabilisant. C’est à cause de ses urgences nocturnes que le diable s’est introduit chez eux. Son premier souvenir remonte à l’âge de cinq ans ou peut-être six. Ses parents devaient partir à la clinique veiller sur sa grand-mère. C’était le soir, et ils n’avaient aucune envie de laisser deux gamins de six et trois ans tous seuls chez eux (même si d’habitude la journée, ils le faisaient). R. a été appelé, et en bon « ami », il répondit à leur appel de détresse.
Dès que les parents furent sortis, il installa le petit frère dans le canapé face à la télé, et lui prit l’autre canapé où il l’installa, elle, et la couvrit. Quiconque qui aurait vu cet acte de tendresse aurait pensé « Il fera un bon père un de ses jours! ». Elle eut la chair de poule en repensant à ce qui se passait après. Il s’allongeait avec elle, dos contre le mur, l’enlaçait par derrière, en la tenant fortement contre lui. Au début, il lui chatouillait seulement le ventre, puis sa main rugueuse glissait tout doucement vers son bas ventre. Il caressait, avec des mouvements circulaires le bord de son slip en fleurs. Elle ne comprenait pas ce qu’il lui faisait, et elle éprouvait même du plaisir devant ces marques d’affection. Elle, qui aimait tant être gâtée, être la princesse de son petit monde, ne savait pas que derrière ces yeux verts, se cachait un pervers et un vicieux.
Elle sentait sa main dans son slip, il lui touchait son « tatou », comme elle l’appelait à cinq ans. Elle le sentait s’endurcir dans son dos. A cet âge-là, elle ne comprenait pas ce que c’était qu’une érection. Elle se tourna vers lui avec un regard inquisiteur, mais il la somma de se taire, afin de ne pas attirer les soupçons de son petit frère. Une douleur dans son bas ventre se manifesta. Elle dut s’assoir sur le banc à l’entrée pour reprendre ses esprits. A ce moment, elle comprit que ce qu’il lui faisait était mal. Elle aurait aimé que son frère se tourne ou fasse un commentaire pour interrompre son calvaire ; mais il était trop absorbé par ce qu’il regardait. Elle repoussa un peu la couverture, et lui, il la remonta. Elle repensa à sa mère, qui lui rappelait sans cesse, que personne n’a le droit de toucher son « tatou » ni même le voir.
Mieux valait repartir. Cette visite ne fera qu’envenimer la situation. Ils ne comprendront pas pourquoi elle a annulé le mariage, pourquoi elle partit durant ces mois, pourquoi elle a coupé les ponts avec tout le monde.
Les journées plage, elle les maudissait. A huit ans, on l’obligeait d’accepter ses invitations à la plage. Non pas pour se débarrasser d’elle, mais pour qu’elle vive à fond son enfance. Les intentions étaient bonnes, ahh s’ils savaient ! Il disait vouloir leur faire profiter, elle et son frère, de sa carte d’accès gratuite à une plage privée. Il disait aussi qu’il voulait que sa « fiancée » rencontre ses deux anges préférés. Cette fiancée, elle n’a jamais vu le bourreau montrer aucun signe d’affection envers elle. Il la laissait trainer sur la plage. Il prétextait apprendre à sa « victime » à nager, et il choisissait un coin reclus, pour s’isoler avec elle. Ses mains baladeuses, son regard si malsain, ses cadeaux empoisonnés, tout lui revint en mémoire.
Elle prit son courage à deux mains et sonna à la porte. Elle dût attendre quelques secondes pour sonner à nouveau.
Il vint la rattraper dans sa chambre. « Cela fait un bail qu’on s’est pas vu! Tu ne demandes pas de mes nouvelles? ». Elle avait treize ans. Elle s’est retrouvée coincée entre le porte-manteau et la porte, pendant que ses mains à lui, lui effleurait les seins et le ventre. « Tiens donc ! Tu as grandi, tu es une femme maintenant ! ». Et c’est pour cela que tu as disparu, salaud ! Je ne faisais plus l’affaire, maintenant que j’ai des seins, des poils sur mon pubis, et surtout que je peux te repousser, oser te dire non !
Apparemment, il n’y avait personne à la maison. Elle allait faire un demi-tour quand la porte d’entrée s’entrouvrit. Une bonne petite femme la regarda méfiante :
- « Oui ?
- Mr et Mme sont là ?
- Ils ne sont pas encore rentrés. Et vous êtes ?
- Leur fille. (Avec un sourire amer)
- Ahein ! Excusez-moi ! Entrez, entrez, vous pouvez les attendre au salon, ils ne vont pas tarder.»
Elle prit place dans le salon. Ils ont changé les meubles et toute la déco. Sa mère avait toujours de bons goûts. La photo d’elle qui arborait le salon avait disparu aussi. Elle fit une grimace de douleur. Apparemment, on l’avait effacé de leur vie. Elle ne leur en voulait pas.
La dernière fois qu’il l’a touché, c’était à la célébration d’un mariage. Tout le monde s’affairait autour d’eux, et lui, a voulu quand même profiter de l’occasion pour lui courir après et essayer de se leur trouver un moment « d’intimité ». Entre un verre de whiskey et la chicha à garnir, tout était bon prétexte pour accéder à la cuisine, là où elle a décrété que c’était le seul endroit sans risque, avec les va-et-vient. Et depuis, il s’était disputé avec un oncle (un vrai oncle, avec des vrais liens de sang), donc, plus aucun signe !
Elle entendit la voiture se garer dans l’allée. Elle était de plus en plus nerveuse. Ses mains tremblaient, et tout d’un coup, elle se sentit mal à l’aise, stupide d’avoir pris la décision de rester. Elle en voulait même à son psy. Ceci-dit, elle était fatiguée de fuir, lasse de devoir payer quelqu’un à qui en parler.
« Oncle R. a un cancer de prostate ». Bien fait pour sa gueule, pensa-t-elle. Elle avait vingt ans, mais sa haine pour lui grandissait de jour en jour. Et si elle n’était pas la seule à qui il a fait subir ça ? « Dommage qu’il ait pas de femme pour le soutenir! ». Plutôt tant mieux pour elle! Quel choc elle aurait le jour où elle découvrira qu’il a des vues sur sa nièce ou une cousine ? Elle a beau lui chercher des excuses : c’était une personne malade, qui a surement vécu un choc dans son enfance, et tout le blabla qu’on lit dans les magazines ou qu’on voit dans les séries ; mais rien ne pourra effacer le mal qu’elle a ressenti, cette égratignure qui n’a cessé de s’approfondir. Elle, elle a réussi à faire la paix avec elle-même (pas encore avec son monde) et elle a encore du chemin à faire ; mais que dire des autres victimes potentielles…
Ses parents avaient le regard figé sur le seuil de la porte. C’était la dernière personne à laquelle ils s’attendaient.
« Avant que vous ne disiez quoi que ce soit, je tiens à m’excuser si un jour je vous ai causés du tort, si un jour je vous ai maltraités, si un jour je me suis montrée odieuse à votre égard, mais écoutez moi, et vous comprendrez tout… »

dimanche 5 septembre 2010

Lettre à Mon Enfant

O toi, mon enfant ! Tout droit éjecté de mes entrailles ! Si tu savais dans quelle aventure tu t’es embarqué ! Une aventure que moi je vais quitter. Je déclare forfait. Je n’ai plus la force de faire semblant. Je croyais qu’en te voyant naître, j’allais avoir assez de courage pour te guider, te conduire, te tenir la main pour cette traversée pénible… Hélas, je suis lâche, et je l’ai toujours été. Je ne sais pas comment j’ai tenu jusqu’ici.

J’ai vécu ma vie à travers les yeux des autres, et il est hors de question que je la vive maintenant à travers toi. Tu feras ton bout de chemin, et tu ne sentiras point mon absence. Peut-être que si. Pour tes premières fois : tes premiers pas, ta première rentrée à l’école, ton premier examen, ton premier bouton de fièvre, ta première copine ; et c’est tout. Je serais ce fantôme qui viendra à un moment ou un autre te hanter, sur qui tu déverseras ta colère, ta frustration, mais aussi ton amour.

La vie m’a gâtée. La vie m’a trahi. La vie m’a donné. La vie m’a pris. Parfois j’ai gagné. Parfois j’ai perdu. A ce jeu-là, elle m’a devancée. Tous les moments de joie qu’elle m’a offert ne venaient pas seuls. Il fallait me rappeler que la vie n’est pas une partie de plaisir. Que pour l’apprécier il fallait souffrir. Jusqu’à quand ?

Mes larmes ont séché. Mes jambes n’arrivent plus à me porter. Mon esprit a lâché prise. Je vis entre hallucinations et rêveries; mais n’est-ce pas la même chose ? On m’a dit que pour être heureux, il fallait sacrifier. Et moi j’ai sacrifié. Suis-je heureuse pour autant ?

Je n’ai pas envie que tu vives avec l’ombre d’une mère. Une mère qui, en public, montre le meilleur d’elle, un sourire ravageur, une tenue parfaite, un savoir-vivre ahurissant ; et en coulisses, perde tout, même son âme. Je n’ai pas envie que tu te battes pour redonner à cette cloque que je suis devenue le goût de vivre. Tu es la meilleure chose dans ma vie, et si je te laissais faire, tu perdras ton âme toi aussi. Tu es le fruit de toutes les contradictions de la vie: amour, haine, indifférence, mépris, dégoût, amertume, joie,... Un fruit dont j'aurais aimé me délecter.

Si je devais te donner un conseil pour SURvivre, je te dirais « Fais de l’hypocrisie ton maître mot ». Je n’ai pas réussi à le faire, ni à l’être. Ne te laisse jamais abattre par ce que te disent les autres car, dans la vie, on a trois ou quatre choix importants à faire...Faut jamais laisser qui que ce soit les faire à notre place. Ta mère a vécu pour les autres, s’est laissé faire et n’a jamais osé dire « Non ! » de peur qu’elle ne se retrouve seule, ou de peur d’assumer les conséquences de ses choix. Dans les deux cas, elle est sortie perdante.

Mon enfant ! Je ne te demande ni de me pardonner, ni de rendre la vie facile à ton père ! Je te demande seulement de m’aimer, car tu serais la seule personne à le faire sincèrement.

vendredi 20 août 2010

Les Amants Maudits (Lui)



Ce texte vient compléter Les Amants Maudits (Elle). Il a été écrit par une personne qui compte énormément à mes yeux, une plume hors norme, quelqu’un à qui on doit tout respect. J’espère que vous apprécierez !


Lui…

Voilà, elle est partie...

Une journée qui a duré une seconde, une seconde éternelle et irréelle.

Je sens encore son souffle sur mon cou, son odeur sur ma peau, son goût sur mes lèvres, je n'ai pas pu supporter de la voir s'éloigner, j'ai démarré en trombe en essayant de cacher tant bien que mal mon angoisse et en refoulant les mots que j'aurais voulu lui dire "reste", " me laisse pas", " aime moi merde", "ne me quitte pas"...

Je n'ai pas pu rentrer chez moi, je suis retourné là où nous avons passé une partie de la journée, là où nos corps se sont unis, où pour la première fois je l'ai réelement embrassée, où nos âmes et nos corps ont fusionné; j'ai arrêté la voiture et j'ai allumé une cigarette, je sentais encore son odeur sur moi, je sentais son parfum dans ma voiture, sur ma peau. Au plus profond de mon être, elle a laissé son empreinte; mon corps frémissait encore de ses caresses, elle m'a aimé comme personne ne l'a jamais fait, elle m'a regardé comme j'ai toujours rêvé qu'on me regarde, elle m'a donné son âme, son corps et son être entier.

Elle m'a dit qu'elle m'aimait, elle m'a dit qu'elle m'aimait, elle m'a dit qu'elle m'aimait; puis elle est partie...

Deux jours que je ne me suis pas lavé, je n'ai pas voulu enlever son odeur, je n'osais effacer sa trace, sa présence de peur que ces moments ne s'estompent et ne disparaissent.

Dans la voiture, cemetary de silvershair tournait en boucle, il recommençait à pleuvoir, je voyais les gouttes sur mon pare brise et je sentais mes larmes couler toutes seules au diapason de celles du ciel. Jamais je ne me suis senti aussi seul, aussi merdique et aussi moi.

Rien qu'envisager le reste de la journée, le reste de la semaine, le reste de ma putain de vie sans elle était une torture insupportable, il faut que je la revoie, il faut que je lui fasse encore l'amour, il faut qu'elle soit mienne et le jour où cela arrivera, je ne la laisserai plus partir.

jeudi 19 août 2010

Les Amants Maudits (Elle)


Elle…

Elle sortit de la gare hâtivement. Il pleuvait comme elle n’en avait jamais vu en ce mois d’Août. Elle balaya du regard ces voyageurs qui, comme elle, attendaient qu’on vienne les chercher. Elle était inquiète : et s’il s’est endormi ? Et si son réveil n’a pas sonné ? Elle aurait fait tout ce chemin pour rien alors. D’ailleurs, elle ne sait pas pourquoi elle le fait. Elle était supposée avoir laissé cette histoire loin derrière elle. Elle a commencé à faire son petit bout de chemin, et là elle est sur le point de détruire toutes les convictions qu’elle s’est forgées depuis ces derniers mois. Ce n’est qu’après une bonne beuverie qu’elle décida de prendre le premier train pour A. ; et ses amis étaient loin de l’en dissuader. « Au pire des cas, tu pourras visiter la fameuse cathédrale ». Cela la fit rire, mais au fond elle s’en foutait de la cathédrale. C’était lui qui lui importait le plus. Si elle est passée à Paris, c’était pour retrouver son meilleur pote, mais aussi lui. C’était le seul endroit où ils pourraient se voir sans avoir peur qu’on les retrouve. Trois semaines auparavant, il l’avait suppliée de le voir, de lui trouver un peu de temps. « juste une heure », lui disait-il ; mais elle faisait la sourde oreille. C’est vrai qu’elle avait beaucoup à faire, mais elle ne voulait pas faire d’effort. Elle voulait qu’ils se voient ailleurs. Pourquoi pas P. ? Un terrain neutre : elle, elle serait en vacances ; et lui, il sera un peu plus loin de la ville où il habite, loin de tout ce qui pourrait lui rappeler l’autre.

Elle s’installa dans le café face à la gare. Le bonhomme au bar était super-galant. Il gronda même un client qui n’arrêtait pas de lui faire les yeux doux. Elle choisit une table face à la porte d’entrée puis ouvrit son « Voyage de Théo ». Elle n’était pas d’humeur pour lire, mais il fallait qu’elle s’occupe, surtout depuis l’interdiction de fumer à l’intérieur des établissements. Le vent soufflait très fort, la pluie ne s’arrêtait pas et il faisait un froid de canard. Elle aimait regarder cette nature, tout aussi agitée qu’elle. De temps en temps, elle regardait son téléphone, s’attendant à voir son numéro s’afficher. « Je lui donne une heure, s’il ne se manifeste pas, je repars dans le premier train ». Au fond d’elle-même, elle aurait aimé qu’il ne le fasse pas. Elle avait peur des conséquences de cette journée, des séquelles que ça allait avoir sur elle. Quand tout à coup, son meilleur ami l’appela pour lui dire qu’Il la cherchait partout devant la gare, et qu’Il avait pas son numéro Français. Elle sursauta sur place, se mit debout et regarda dehors. Et c’est là qu’elle l’aperçut entrain de parler à un garçon de café. Elle referma son bouquin, salua le bonhomme au bar, et puis sortit en un éclair.

Elle s’arrêta un instant avant de traverser. C’est vraiment lui ou est ce qu’elle est entrain de rêver ? Elle traversa la rue en courant, et elle vit un sourire inquiet se dessiner sur son visage à lui. Et dès qu’elle fut à son niveau, elle l’enlaça très fort puis se fondit en excuses sur cette histoire de numéro Français, et il ne réussit à la faire taire qu’en l’embrassant langoureusement. Ça l’a surprit. Et elle ne se rendit compte de ce qu’elle était entrain de vivre que quand il l’embrassa encore une fois. Elle était là, dans ses bras, et lui qui la tenait si fort, en lui susurrant des « tu m’as beaucoup manqué ».

Après, ils allèrent chercher la voiture au parking. Ils n’arrêtaient pas de se taquiner et de se lancer des regards tendres, de s’embrasser avec passion. Le regard des gens importait peu. Ils étaient seuls au monde. Il était tout excité qu’il n’arrêtait pas de jouer au guide, et de lui parler des bons spots, la vieille ville, et même la fameuse cathédrale, dont on lui avait parlé, mais elle n’avait d’yeux que pour lui. Cela ne l’intéressait pas l’histoire de la ville ; elle, qui aime pourtant le côté historique des endroits auxquels elle se rend, elle qui aimait s’imprégner de l’odeur de ce genre de monuments, les sentir…

Ils s’installèrent dans un café au centre ville, et le silence prit place avec eux, surtout quand il lui annonça que sa femme dormait juste à côté de lui quand elle l’avait appelé au petit matin pour lui annoncer qu’elle débarquait. Elle ne savait pas que sa femme s’est enfin installée avec lui. Elle sentit un malaise. Elle était peut-être jalouse d’elle : elle qui a la chance de le côtoyer chaque jour, de dormir à côté de lui, de sentir son odeur, de lui préparer le petit déj, mais surtout de vivre chacun de ses moments intimes avec lui… ils se mirent alors de parler de tout et de rien : lui, il parlait de la rénovation de son appart et des vacances merdiques qu’il avait passé, et elle, de son futur engagement. Elle essayait d’expliquer sa décision, mais il ne voulait pas qu’elle s’explique sur cela. Il savait pourquoi elle faisait ça. Pourtant, les explications ce n’était pas à lui qu’elle les devait. Plutôt à elle-même. Elle essayait de se convaincre qu’elle avait pris la bonne décision, et c’était vraiment la bonne, la logique, la plus « morale ».

Il proposa de l’emmener dans un de ses endroits préférés. Elle était bien curieuse de savoir où il trouvait refuge quand il avait mal, le mal d’elle. Elle ne pouvait s’empêcher de le regarder tout au long du trajet. Des regards tendres et doux qui, avant, ne voulaient rien laisser transparaître. Il était gêné par ses regards insistants, ou peut-être qu’il en était surpris. Elle lui serrait la main, la lui touchait, comme si elle n’avait pas encore réalisé que c’était vraiment lui qu’elle touchait. Ils s’installèrent quelque part dans une route barrée près d’un campus universitaire. Il faisait très froid dehors, mais elle ne ressentait plus le froid. Elle enleva sa petite veste noire afin qu’il puisse mieux admirer son décolleté. C’était la première fois qu’elle mettait cette chemise, et elle l’avait mise spécialement pour lui. D’ailleurs, depuis ce jour, elle l’appelait sa chemise à lui.

Il n’arrêtait pas de lui dire ces « je t’aime », ces « tu me manques », ces « je n’arrive pas à croire que tu l’ais fait » ; elle, non plus d’ailleurs. Parcourir une centaine de kilomètres, juste pour passer la journée avec lui, et repartir après pour faire ses valises et rentrer au pays, retrouver la réalité, sa réalité… la discussion entre eux prit une tournure tout à fait attendu : ils s’embrassèrent comme si c’était la première fois, il prit soin de lui embrasser la nuque, de sentir sa peau, de bien s’occuper d’elle. C’était la première fois que quelqu’un soit aussi sincère en lui disant combien elle était belle toute nue. Elle, qui n’aimait pas vraiment son corps, se sentait comme une reine entre ses bras, sous ses baisers enflammés, elle se sentait femme…jusqu’au moment où il décida qu’ils n’iraient pas plus loin. Elle en fut étonnée.

- …Je veux que notre première fois se passe le mieux possible. Je n’ai pas envie qu’un jour on s’en souvienne que c’était à l’arrière d’une voiture. J’ai envie que ce soit vraiment une nuit de rêve….

- …Mais qui te dit que ce n’est pas déjà une journée de rêve pour moi ???...

- …Je ne veux pas non plus faire de toi ma maîtresse, je te respecte trop pour ça…

Elle se tut. Il avait raison sur ce point. Elle n’aime pas la clandestinité, et ne l’a jamais aimé. Ceci-dit, ce n’était pas l’unique raison pour laquelle il lui résistait. Il s’est confessé d’ores et déjà en lui disant qu’il ne voudrait pas souffrir en découvrant que c’est sa façon à elle de lui faire ses adieux. Il n’avait pas tout à fait tort. Elle était venue le voir une dernière fois avant de repartir pour ne pas avoir de regrets après.

Cette journée était sa journée et hors de question que ça finisse ainsi. Elle avait envie de concrétiser leur histoire, et lui aussi. Alors pourquoi se prendre la tête ? Tout contact, tout baiser, tout toucher ne faisait qu’accentuer leur désir l’un pour l’autre, et tout gémissement de son côté, le rendait encore plus fou, et c’est ainsi qu’il succomba à la tentation ; et les « je t’aime » fusèrent jusqu’au moment où elle s’entendit le dire elle aussi. Ils s’arrêtèrent tous les deux. Il la regarda surpris, les yeux écarquillés, mais elle se reprit, s’excusa et fit comme si de rien n’était. Elle ne le lui avait jamais dit, mais à chaque fois qu’elle lui lançait un « je t’emmerde », se cachait un « je t’aime » refoulé. O combien elle regrette ne pas le lui avoir dit plus tôt. 7 ou 8 mois auparavant par exemple. Les choses auraient été tellement différentes, en bien ou en mal, mais ça valait le coup.

Une voiture faisait un demi-tour dans la ruelle, et il faisait trop chaud dans la voiture, donc elle décida qu’il était temps de se rhabiller. Lui, il descendit fumer sa cigarette, pendant qu’elle remettait le CD de musique. « Paradise Circus » de Massive Attack n’a fait qu’accentuer la douleur qu’elle sentait au fond d’elle. L’heure de départ approchait à grands pas, et elle ne voulait en aucun cas repartir. Pourtant il fallait. Ils étaient debout dans la rue, encore à s’enlacer, à s’embrasser. Elle voyait de temps en temps ses yeux se remplir de larmes qu’il essayait de retenir. Sa seule réponse était de lui caresser le visage, de lui tenir la main, ou encore de lui caresser le ventre. Un sourire par-ci, un autre par-là et il était aux anges. Elle le savait fragile, donc il ne fallait pas qu’elle se montre faible devant lui.

- Alors, on est ensemble maintenant ?

Elle lui répondit pas, car elle–même ne connaissait pas la réponse à cette question. Après le déjeuner, ils restèrent assis dans la voiture. La pluie s’est arrêtée pendant quelques instants, mais là elle reprit de plus belle.

- La ville pleure de chagrin. Elle ne veut pas que tu repartes.

Elle non plus ne le voulait pas. Elle mit sa tête sur son épaule et ferma les yeux. Qu’est ce qu’ils vont devenir. Il ne peut pas faire marche arrière. Elle non plus. Il y’a trop de personnes impliquées dans cette histoire, et ils ne veulent pas qu’ils souffrent par leur faute.

Il était presque l’heure, sans parler que sa femme commençait à l’appeler, donc elle lui demanda de prendre le chemin de la gare. Ils étaient silencieux. Elle, encore entrain de le regarder. Elle sait qu’elle ne pourra pas le revoir de sitôt. Elle repensa encore à sa femme, à son mec, à ce qui l’attendait dans quelques heures.

N’ayant pas trouvé un endroit pour stationner la voiture, elle lui demander de juste la déposer devant la gare et repartir. Son cœur battait de plus en plus. En arrêtant la voiture, elle lui sauta dessus, en l’embrassant goulument, puis prit les CDs qu’il lui avait préparés et descendit. En courant vers la gare, elle se retourna une dernière fois pour le voir repartir, s’essuya une larme qui lui coulait sur la joue, puis courut pour rattraper son train…